Les Vieilles Barques

Elles gisent sur un lit de sable ou de vase séchée
et pour tout baptême portent des noms à ce jour disparus.
A l'abri, sur leurs corps immobiles, les oiseaux sont perchés,
caquetant sur l'injuste partage des derniers poissons crus.
Leur étrave rouillée ne prendra plus la mer
et de leur plancher fendu s'insinue la verte salicorne,
les scellant au sol de toute éternité.

Le regret est amer, quand le flot descendant ne les a emmenés,
ne laissant à l'intérieur de leurs pauvres carcasses
que des flaques stagnantes retenant prisonniers des crabes téméraires…

Elles franchirent les passes pour mener à bon port
de leur ventre gravide des fardeaux importants
et sauvèrent des vies, quant aux plus fortes syzygies,
les imprudents prenaient la mer.

Vous vivez aujourd'hui le reste de votre âge
à vous fondre peu à peu au gré des éléments
qui ne vous portent plus sur le jusant rageur…

Vous ne méritez pas de finir oubliées dans l'âtre d'un foyer
ou couvertes d'immondices, mais dans un musée,
ou chacun vous devrait le respect pour les services,
par vous rendus en toute humilité.

 

Hommages...

Honneurs à vous, vieilles barques,
tilloles légères
chaloupes non pontées
et pinasses d'un autre âge dont
les courbes parfaites nous font imaginer que
par dame nature vous fûtes enfantées.

Honneurs à vous, hardis marins,
qui franchissiez La "barre"
de vos bateaux légers,
sachant que sous les lames vous risquiez le trépas.
Combien ont disparu, sous les coups de boutoir
d'un océan sauvage qui ne se souciait guère des bouches orphelines.

Honneurs à vous, veuves des mers,
que la douleur égare,
mais dont tous les enfants
ont le désir de vivre.
Honneur à tous, car de vos sacrifices, il n'y eut point de plages
que nous n'eussions aimé.

 

Andernos

Des ribambelles de bambins trottent à l'infini sur ton ventre de sable
pour tenir à deux mains une onde insaisissable.
Leurs cris de joie sont des grâces qu'il nous faut apprécier,
car l'innocence appelle la beauté.

Un vent de Sud m'enveloppe de sa moite tiédeur
et je ne me lasse guère, les yeux au ras de l'eau,
d'admirer la danse sinueuse des villages brumeux ceinturant le Bassin.

Une pinasse élancée remonte le jusant de sa toux régulière.
Un chaland de nos pères dérive lentement autour d'un pieu rongé…
Hommes et femmes d'huîtres, à la marée liés,
de vieux bateaux par derrière vous portent encore leurs ultimes fardeaux.

Je n'imagine pas, quand dans vos officines
je vous viens acheter les fruits de l'océan,
combien il vous fallut de temps de fatigue et de peine,
pour ce que sans y penser j'avale en un instant.

Les benèzes ne coiffent plus le chef des vaillantes parqueuses
et la serge éclatante ne ceint plus le corps des pêcheurs de jadis.

Mais le montant lassé de ses vieilles conquêtes, se retire déjà,
découvrant les esteys, en livrant aux regards les concessions d'antan
où les piquets tordus, comme des centenaires,
balisent jusqu'à demain les éboulis des parcs désaffectés.

Un chien de mer, ivre de vent salé, course les hirondelles.
En vain… La bête de rage aboie contre le ciel.
Dans les derniers bassins, où les huîtres se baignent,
des mules prisonniers attendent jusqu'au soir le flot libérateur
et dans le grand chenal,
enchâssé dans la vase, quelques bateaux légers
glissent en silence vers des ports étrangers.

Alors, sortant de l'onde, chevelure peignée par le flux et le reflux,
apparaît le varech dans sa verte livrée.
Quant à la vieille source, elle coule sereine en dépit des années
et même si parfois son débit est un filet menu,
elle chuchote encore pour ne pas se tarir.
Elle verse à deux pas le reste de son age dans un ruisseau rouillé qui l'emmène à la mer.

Les benèzes ne coiffent plus le chef des vaillantes parqueuses
et la serge éclatante ne ceint plus le corps des pêcheurs de jadis.
Andernos, ne change pas trop vite,
nos âmes tourmentées ont besoin de ta paix.

 

Textes de François VEILLON,
D'autres textes du même auteur sur les pages:
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